Conte

Le diamant et la cathédrale

Maman BCBG blog - DiamantLundi soir, il y a eu la flèche de Notre-Dame qui s’écroulait dans les flammes.
Mes larmes qui ne s’arrêtaient pas de couler bêtement devant la télévision, la stupeur.
Le combat héroïque de centaines de pompiers, qui ont bravé le feu et le plomb fondu pour sauver et mettre à l’abri ce qui pouvait l’être.
La présence réelle, la couronne d’épine, la tunique de Saint Louis, épargnées.
Aucune vie humaine emportées.

Et très vite la douceur de voir l’émotion unanime des catholiques, et des autres. Des parisiens, et des autres. Des français et des autres.
Peut-être est-ce triste de se rendre compte de ce que nous partageons en cette occasion si dramatique, mais moi cela m’a fait du bien.
Et plus belle encore cette volonté tout aussi unanime de réparer, de reconstruire ce que nous avions tous perdu alors que la cathédrale était encore chaude de l’incendie qui l’avait détruite.
En cette période si symbolique de la Semaine Sainte, où les ténèbres se font plus épaisses, où la mort semble gagner pour de vrai avant que la vie ne lui marave un bon coup la tronche, la chrétienne que je suis y a vu une immense Espérance.

Notre Dame, plus que jamais, est à tous et pour tous.

Et ma mémoire défaillante m’a rappelé qu’il y a bien quinze ans, moi aussi j’avais écrit un conte qui parlait d’elle.
Alors je l’ai ressorti de mes cartons virtuels. Je l’ai trouvé, tel que je l’avais abandonné : un poil maladroit, quelque peu moralisateur et simpliste. Mais j’y ai aussi vu cette cathédrale, si blanche et si lumineuse, dont je veux me souvenir en attendant qu’elle renaisse plus belle de ses cendres.
J’ai donc juste épousseté quelques signes de ponctuation, soufflé sur l’orthographe un peu de guingois, et inséré quelques espaces dans ce texte, que je partage avec vous aujourd’hui.

*** *** ***

 

 

Le diamant brillait de milles feux sur l’établi de l’orfèvre. Il avait été nettoyé de la gangue de pierre et de charbon qui le protégeait, et maintenant, stupéfait, il découvrait le monde autour de lui.

Il ne connaissait que l’obscurité chaude et douce de la terre, et n’avait jamais entendu rien d’autre que les murmures étouffés des sources souterraines. Bien qu’il fasse nuit, il ne savait maintenant plus que regarder, sentir et écouter. Tout lui paraissait superbe, du bois usé des poutres à la poussière sur le sol, des pinces et creusets de l’artisan à l’âtre rougeoyant.

Pourtant, par la fenêtre de l’atelier, le diamant aperçu quelque chose qui surpassait en beauté tout ce qu’il avait pu voir jusqu’à présent : une cathédrale.

Le carillon de ses cloches faisait vibrer l’air de la nuit, ses hauts murs blancs l’illuminaient…mais le plus beau encore étaient les vitraux : la lumière semblait habiter l’édifice et jaillissait en rayons pourpres, bleu, dorés et émeraudes en une symphonie de couleurs douces et puissantes sur les toits alentours.

Le diamant resta toute la nuit à la contempler. L’établi, les outils, les bruits de la maison de l’orfèvre avaient cessé d’exister. Au petit matin, il n’avait plus qu’un seul désir en son cœur : entrer dans la cathédrale et se fondre dans la lumière de ses vitraux.

Les jours passèrent, et le diamant avait été rangé dans le coffre de la boutique. Il y faisait noir et chaud, et pour peu il aurait pu avoir l’impression de n’avoir jamais quitté le ventre de sa montagne. Mais le souvenir de la cathédrale était là, et le diamant rêvait nuits et jours à l’éclat de ses vitraux. « Comme la lumière du matin doit être belle vu de l’intérieur… » soupirait-il.

Un jour l’orfèvre le saisit entre ses doigts habiles et entreprit de monter notre diamant sur une bague. Le diamant brillait de bonheur. Enfin il allait quitter la boutique et peut être avoir une chance de pénétrer dans la cathédrale.

Une fois fixé sur une magnifique monture en argent, il fut placé avec soin à l’emplacement le plus en vue de la vitrine. Il y regarda passer les ouvriers et les badauds, flâner les étudiants, courir les commis, pendant de nombreuses semaines… Les curieux s’arrêtaient parfois pour mieux l’observer, car on avait rarement vu un diamant aussi gros et aussi brillant.

Une vieille femme très riche passait de long moment chaque jour en contemplation devant la bague et le diamant. Par une matinée pluvieuse, elle finit par entrer. Le diamant tressaillit d’excitation lorsqu’il entendit que celle-ci discutait du prix avec le vieil artisan. La discussion se prolongea jusqu’au soir, et finalement, l’affaire fut conclue : le diamant quitta le velours du présentoir pour la main de la vieille dame riche.

Le diamant eut quelques difficultés pour s’habituer à sa nouvelle vie. Tant de choses à voir lui donnait le tournis : dîners, promenades, tissus somptueux, parfums raffinés, tourbillons de sons, de lumière et de couleurs…Tout cela l’amusa un temps, mais au fond de son cœur il continuait à désirer plus que tout pouvoir entrer dans la cathédrale dont il entendait parfois les cloches résonner au loin.

Un froid matin d’automne, il comprit aux préparatifs de sa maîtresse qu’elle se rendait à la cathédrale. Le trajet jusqu’au bel édifice tout hérissé de gargouilles et de statues lui sembla une éternité. Enfin ils descendirent de la voiture sur le parvis. L’accomplissement de son rêve était si proche !
Mais au moment où la vieille femme riche allait s’engager sous le haut porche orné d’imposant tympans, elle enfouit ses mains à l’abri de son manchon de fourrure.

Le diamant fut pétrifié. Enterré sous la fourrure, il n’entendait rien des murmures respectueux de l’assistance, il ne sentait rien des volutes d’encens, et pire, il ne voyait rien des cascades de lumière colorées que les vitraux faisaient tomber dans la cathédrale.
Il pleura amèrement.

Sa maîtresse retourna de nombreuses fois à la cathédrale. Mais toujours elle se couvrait les mains de son manchon ou de ses gants. Alors, bien que la vie soit douce pour le diamant, il décida de changer de propriétaire.

La seule solution à sa portée était que la vieille femme riche se lasse de lui. Aussi entreprit-t-il de voiler son éclat. La vieille dame se rendit vite compte que le diamant ne brillait plus autant, aussi le cédât-elle sans tarder à sa fille, qui le fit monter en collier.

La vie du diamant changea du tout au tout. La fille de la vieille dame était en effet d’un naturel austère et passait sa vie à broder et méditer. Mais il ne s’en plaignit pas car il savait qu’un jour sa nouvelle maîtresse l’emmènerait à la cathédrale.

Un matin d’hiver, ils prirent tous les deux le chemin de celle-ci. Le diamant bouillait d’impatience et de joie. L’air était sec, et la cathédrale éblouissait de blancheur le parvis. Mais au moment où la femme allait s’engager sous le porche, elle boutonna jusqu’au menton le col de sa robe. Ainsi prisonnier, le diamant n’entendait rien, ne sentait rien, et ne voyait rien…

Le cœur des pierres précieuses ne se brise pas facilement, mais ce jour là, le diamant pleura à longs sanglots dans le noir…

Sa maîtresse retourna souvent à la cathédrale, mais à chaque fois elle se couvrait le cou de sa robe ou d’une écharpe lourde et opaque. Ainsi bien qu’avec elle sa vie ne soit pas mauvaise, le diamant résolut de changer de propriétaire.

Il entreprit donc de se faire tout petit. La femme se rendit bientôt compte qu’il était devenu par trop minuscule pour la monture de son collier. Elle céda donc le diamant à sa jeune cousine, afin que celle-ci puisse remplacer un brillant perdu sur l’une de ses boucles d’oreille.

Encore une fois la vie du petit diamant changea. Autant sa précédente maîtresse était austère, autant sa nouvelle propriétaire était frivole. Avec elle tout n’était que rubans, sourires, dentelles et décolletés. « Pas de risques, se dit-il, qu’elle ne me camoufle sous une fourrure ou une écharpe !»

Ainsi par un matin de printemps, la jeune fille prit le chemin de la cathédrale, le petit diamant tressautant de joie au rythme de sa marche. Mais au moment où ils allaient passer le porche, la coquette jeune fille lâcha ses cheveux. Le diamant fut ensevelit dans un flot de chevelure blonde. Une fois de plus il ne put rien entendre, rien sentir et surtout, rien voir des lumineux vitraux qui tamisaient la lumière du matin. Le petit diamant pleura longtemps, longtemps…

La jeune fille retourna quelques fois à la cathédrale, mais toujours elle lâchait ses cheveux ou mettait un chapeau paré de rubans ou de dentelles. « Je n’ai d’autre choix que de me faire encore plus sombre et plus petit que je ne le suis si je veux pouvoir tenter de voir cette cathédrale » se dit le diamant.

Ainsi fit-il, et la jeune fille frivole s’aperçu un jour qu’un des diamants de ses boucles d’oreilles était devenu aussi rabougri et terne qu’un noyau d’olive. Or il y avait dans sa maison une vieille servante qui n’avait pour seule famille qu’une petite fille, malheureusement aveugle. La vieille servante vint à mourir, laissant sa petite fille à la charge de sa maîtresse. Celle-ci n’avait que faire d’une enfant aveugle, et donc inutile, aussi la renvoya t’elle. Pour se donner bonne conscience, elle offrit à la fillette le diamant, dont de toute manière elle n’avait aucune utilité, tant il était devenu minuscule et sombre.

La petite fille se retrouva donc à la rue avec pour seuls biens le chapelet de sa grand-mère et le diamant de la jeune fille frivole. Le chapelet était bien vieux et il lui manquait une perle. La petite fille la remplaça par le diamant, et se mit à chercher un travail… Mais personne ne voulait d’elle. Sa vie devint très difficile, et sans la charité de certains habitants du quartier, elle serait sans doute morte.

Tous les jours elle se rendait devant la cathédrale. Elle n’osait pas y entrer, car ses mains lui révélaient que ses vêtements étaient pleins de trous. Elle disait donc son chapelet assise à l’ombre de la grande façade les jours de soleil, et à l’abri du porche lorsqu’il pleuvait. Le petit diamant se polissait à force de glisser entre les doigts de la petite fille. Et même s’il souhaitait toujours autant entrer dans la cathédrale et contempler les cataractes de lumière des vitraux, il éprouvait une joie un peu amère à voir tous les jours cette cathédrale tant aimée au rythme du chapelet de sa petite maîtresse.

Un doux matin d’été, alors que la petite fille traversait la place devant la cathédrale, elle trébucha et laissa échapper son précieux chapelet. Les perles se répandirent partout sur le sol, et le petit diamant avec elles. Un groupe de gamins qui musardaient non loin de là trouva amusante cette petite fille qui essayait de rassembler les morceaux de son pauvre trésor à quatre pattes sur le parvis. Aussi entreprirent-ils d’éparpiller à coup de pieds les perles qui s’entrechoquaient et rebondissaient à qui mieux mieux de plus en plus loin de la petite aveugle. Le diamant était glacé de peur. Jamais de sa vie il n’avait vu un pavé d’aussi près ! Il aurait bien voulu se rapprocher de sa maîtresse, mais que faire lorsque l’on n’a ni jambes ni bras ?

Or il advint que l’un des garnements frappa si fort du pied le petit diamant que celui-ci monta comme une flèche dans le ciel bleu. Il dépassa le porche, les statues, les colonnes, les clochers…Avec curiosité il regarda les enfants devenir petits, puis minuscules, et la façade de la cathédrale se rapprocher…il voyait de mieux en mieux les vitraux, leurs motifs compliqués, leurs teintes délicates, et son petit cœur se gonflait de joie de pouvoir les contempler de si près. Puis lentement le petit diamant commença à redescendre… il finit sa course en plein centre de la rosace formée par le vitrail central, et s’y incrusta avec un petit bruit cristallin.

Le diamant, tout étourdi, mit du temps à retrouver ses esprits. D’où il était, il pouvait voir toute la ville, et jusqu’aux plus petits méandres du fleuve. Quant à l’intérieur de la cathédrale…il pouvait l’englober d’un seul regard. Pour la première fois il entendait la calme mélopée des prières des fidèles, il sentait l’odeur à la fois forte et douce de l’encens, et il voyait…il voyait comme il n’avait jamais vu de sa vie : les sculptures ciselées dans le marbre, la poussière dorée du soleil qui semblait danser autour des fines colonnes de la nef… et la lumière des vitraux qui enflammait le moindre recoins de la cathédrale, qui bleuissait discrètement le maître autel, ajoutait un rayonnement de gloire aux bannières et aux lustres, et qui ornait d’une mousse légère les larges dalles de pierres qui pavaient les allées…

Le cœur du petit diamant se dilata de bonheur. Il aurait voulu chanter de toutes ses forces, exulter de joie… mais les pierres précieuses ne le peuvent pas. Alors il fit ce qu’un diamant sait faire de mieux : il brilla. Et son éclat se mêla à celui des vitraux. Il brilla si fort que l’extérieur même de l’édifice en fut tout illuminé, et un instant toute la ville se para des couleurs de la cathédrale.

Au pied de celle-ci, la petite fille aveugle avait fini par récupérer toutes les perles de son chapelet, et pleurait de ne pouvoir retrouver sa pierre préférée. Soudain elle leva la tête. Tout le ciel brillait grâce au petit diamant, et la lumière des vitraux inondait la place. Celle-ci était si douce et si pure que la petite fille ouvrit les yeux… et vit.

Elle vit tout d’abord son diamant rayonnant de joie au centre de la rosace de vitrail… puis elle vit la cathédrale toute dorée dans le ruissellement des couleurs…

La petite fille devient jeune femme, puis mère, puis grand-mère… elle continuait de se rendre chaque jour à la cathédrale où, à l’intérieur cette fois, elle récitait son chapelet. Chapelet auquel il manquait une perle. Quant au petit diamant il put conserver sa place parmi les vitraux et leur lumière… Et s’il plait à Dieu, il y brille encore.

 

FIN

22 commentaires sur “Le diamant et la cathédrale

  1. C’est trop beau ! Vraiment touchant, et nullement maladroit ou moralisateur. Ce texte est magnifique. Je ne sais pas quoi dire de plus, et je t’admire de le publier, parce que je n’ai pas su quoi dire depuis cet événement et il me semblait que des mots pouvaient difficilement exprimer l’émotion que j’ai ressentie. Tu l’as fait, et magnifiquement. ❤

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  2. « Marie, ton coeur sera transpercé d’un glaive », Notre Dame, ton coeur a été traversé par ta flèche… Au terme de cette apocalypse la croix glorieuse au bout de l’allée centrale couverte de cendres encore fumantes. Des cendres renaît l’espérance.

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